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Quadrille

Quand Fany Dupêchez m’annonçait qu’elle me confiait la prochaine résidence à Vichy, avec pour sujet les seniors actifs, ma première réaction fut une immense joie. Puis une formidable trouille s’installait en moi. Un peu comme à une personne nullipare à qui l’on colle un bébé entre les mains sans lui laisser le choix : « Prends-le cinq minutes, s’il te plaît, je reviens. S’il pleure… improvise ! » En général, ces cinq minutes nous paraissent une éternité, incapable de savoir par quel bout tenir cet adorable début de vie et avec le sentiment d’être beaucoup plus intimidée que lui. Les seniors, j’en ai croisé finalement assez peu dans ma vie et même si le sujet m’intéressait énormément, difficile pour moi de savoir comment les aborder. Je choisissais la légèreté, le jeu et l’humour. Avec comme toile de fond le carreau vichy  telle une quête absurde et littérale tout au long de mon séjour, un « chercher Charly » du quadrillage.

Je suis donc arrivée un matin à Vichy avec mes certitudes et… mes inquiétudes aussi. Je venais de fêter mes cinquante ans et la perspective de m’entrevoir dans le miroir d’un futur proche m’angoissait un peu.

Et puis les rencontres ont opéré. Timide, je les questionnais. Petit à petit leurs histoires, leurs personnalités, leur humour m’ont explosé à la figure. Jeany, Jean-Paul, Marie-Alice, Nicole et Nicole, Ginette, Titi et Bernie, Patrick, Brigitte, Daniel, Riad, Dominique, Diane, Leonardo, Jack, Christiane, Danielle et Jean-Claude m’ont passionnée par leurs parcours, leurs engagements, leur fantaisie. C’est comme si j’avais enfin fait connaissance avec le troisième âge. Ce n’est pas une réconciliation puisque nous n’étions pas fâchés, plutôt une indifférence qui s’est transformée en un sincère intérêt.

Quant au travail photographique, tous m’ont beaucoup donné, en toute confiance, se prêtant au jeu que j’avais imaginé pour eux à la simple vue de leur photo de casting. Tantôt joueuse de basket, tantôt pin-up, tantôt danseur de claquettes, tantôt danseur en chaussettes, toutes et tous, avec un talent caché d’acteur ou une timidité adorable, ont donné leur temps et leur substantifique moelle.

En rentrant à Paris, dans cette ville parfois hostile aux plus âgés, je me suis surprise à sourire à une dame voûtée et plus fluette que son caddie. Avant je serais peut-être passée à côté d’elle sans la regarder.

Pour m’avoir fait prendre conscience que les seniors ne sont autres que des jeunes gens avec beaucoup d’expérience et pour m’avoir donné envie d’avancer joyeusement dans l’âge, c’est avec beaucoup d’humilité et d’émotion que je leur dis à toutes et tous : merci.

Golden Age de Natacha Wolinski

Dès le plus jeune âge, Letizia Le Fur a associé son destin à la peinture. Mais à l’école des Beaux-Arts de Tours, dont elle est sortie diplômée en 1998, une de ses professeures,l’artiste Valérie Belin, l’a encouragée à s’orienter vers la photographie. Letizia Le Fur se distingue depuis par une pratique qui hybride les deuxmédiums : elle travaille sa palette photographique comme une peintre, recrée numériquement ses propres chromies, fictionne le réel à sa guise. Invitée de la huitième résidence de Vichy, Letizia Le Fur a choisi comme toile de fond de son travail le thème du carreau – le carreau Vichy bien sûr – allié à celui de la place des seniors dans notre société. Le carreau, la grille, le damier ne sont pas seulement des schèmes fondés sur la répétition, ce sont aussi des idéologies : ils symbolisent l’ordre, la norme. Grille de salaires. Grille de programmes. Grille d’évaluation…

Est-ce parce que nous faisons tous l’expérience du temps par cette grille particulière qu’est le calendrier que Letizia Le Fur a décidé de bousculer les cases – les cases de l’âge ? Les seniors, de tous temps, ont été sommés de se tenir à « carreau ». Mais que se passe-t-il lorsqu’ils endossent des carreaux aux couleurs survitaminées et quadrillent la ville de Vichy en libérant une fantaisie qui déjoue tous les pronostics ? Ils se nomment Patrick, Christiane, Marie-Alice, Janie, Coco, Brigitte, Dominique, Ginette, Nicole, Titi, Bernie, Jean-Paul, Daniel, Ryad… Sous l’oeil complice de la photographe, avec l’aide de la styliste Marjorie Donnart et de la maquilleuse Sandrine Le Mevel, ils posent en rayures vertes, en vichy rose, en carreaux bleus, et font allègrement exploser le cadre : les sols carrelés deviennent des pistes de claquette, les rangées de siège des vagues ondulatoires, les briquettes de cheminée des tranches napolitaines… Excentriques, cousins de Fred Astaire dansant sous un parapluie ou de Brigitte Bardot en tenue de golf, ils redonnent des couleurs aux lieux qu’ils investissent : opéra, thermes, église, centre culturel, rives de l’Allier… Aucune grille de lecture ne s’applique à ces indociles. Réfractaires à toute assignation. Ainsi avec toute leur légèreté, ils redéfinissent avec Letizia Le Fur les contours d’un monde fantasque et frondeur, où, pour reprendre les mots d’Alfred Jarry, « l’indiscipline aveugle et de tous les

instants fait la force principale des hommes libres. »

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