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Les échappées (série en cours)
 

Gaston Bachelard, dans La poétique de l’espace, décrit la fenêtre comme la frontière entre l’en-deçà et l’au-delà, un objet transitionnel du dedans-dehors. Elle est ce seuil fragile où l’intériorité intime rencontre l’immensité du monde, ce lieu de tension douce entre refuge et ouverture. À l’instar des peintres flamands, puis des surréalistes, pour qui la fenêtre devient un espace de projection mentale, j’interroge ici le statut de l’image, sa capacité à basculer du document au mirage, du réel à la fiction.

 

Ce motif ancien trouve aujourd’hui un écho singulier dans notre rapport contemporain aux écrans, qui ne sont plus seulement des surfaces de vision mais des matrices d’expérience. Plus que jamais, nous regardons le monde à travers des cadres : fenêtres de navigateur, flux d’images, interfaces numériques. Ces rectangles lumineux façonnent notre perception, déforment la distance, redessinent les contours de l’intime et de l’étranger. En ce sens, nos écrans sont les héritiers directs de la fenêtre picturale : ils offrent une échappée tout en nous assignant à un lieu.

 

Dans cette série, les paysages réels, modifiés ou entièrement composés ne cherchent pas tant à représenter un lieu qu’à activer une mémoire sensible du regard. La disparition presque totale du point de vue (la pièce, l’observateur, l’intérieur) ouvre un vide interprétatif : d’où regarde-t-on ? Qui regarde ? Que projette-t-on dans ce que l’on voit ? Cette ellipse volontaire, en effaçant les traces de l’origine de l’image, engage un dialogue direct avec le regardeur. Il devient, à son tour, celui qui imagine la scène depuis sa propre fenêtre.

 

Ces « échappées » racontent ainsi nos désirs d’ailleurs, de beauté, de pause, mais aussi nos illusions modernes : celle d’un monde accessible d’un simple clic, celle d’une nature intacte et hospitalière, celle d’une solitude fertile et choisie. Elles mettent en lumière une forme d’ambivalence contemporaine : notre besoin constant d’ouverture au monde, à l’autre, à l’extérieur s’accompagne d’un repli paradoxal dans l’espace clos de la sphère domestique, devenue centre de contrôle, de repli, voire de contemplation anxieuse.

 

Dans un monde saturé d’images, de récits, de fenêtres ouvertes sur mille ailleurs simultanés, je cherche ici à ralentir le regard, à créer un espace de suspension. Ces fenêtres sont peut-être des miroirs, ces paysages des fictions vraies. Je ne cherche pas à documenter un réel, mais à activer une perception : celle d’un monde vu depuis l’intérieur ; qu’il soit une pièce, un corps, ou une pensée.

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