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Mines de rien

Grande commande de la BNF, 2022

 

 

     Alors que la France est en pleine crise énergétique et que le gouvernement annonce le lancement d’un programme nucléaire de grande ampleur avec la construction de 14 nouveaux réacteurs sur le territoire, j’ai souhaité en savoir un peu plus sur l’histoire de cette énergie que la Commission Européenne vient de qualifier d’énergie verte. Aujourd’hui nous importons la totalité de l’uranium qui permet de faire fonctionner toutes nos centrales, du Niger au Canada, en passant par l’Australie et le Kazakhstan, cela n’a pas toujours été le cas. Le territoire français comptait 248 mines d’uranium réparties sur 26 départements dont la dernière a fermé en 2001. Depuis, plusieurs organisations et collectifs alertent l’opinion sur la contamination radioactive de l’environnement qui reste préoccupante autour de très nombreux sites. Des mines transformées en plans d’eau, voire en bases de loisirs -à présent interdits à la baignade-, aux chemins de randonnée recouverts de déchets nucléaires, de nombreux sites à l’apparence accueillante et bucolique présentent une radioactivité excessivement élevée, bien supérieure aux normes recommandées. Des sols, rivières, jusqu’aux nappes phréatiques de ces territoires, c’est un milieu naturel tout entier qui mettra des milliers d’années à s’affranchir d’un passé lié à l’exploitation de l’uranium. 

 

    Avec l’objectif de devenir une puissance nucléaire, à la fois militaire et civile, la France a, dès la fin de la seconde guerre mondiale, cherché à assurer son autosuffisance en uranium. De 1948 à 2001, l’hexagone a extrait de son sous-sol plus de 80 000 tonnes d’uranium qui ont engendré plus de 300 millions de tonnes de déchets sous la forme de boues radioactives et de stériles (couche de terre intermédiaire entre l’uranium et l’air). La fabrication de la bombe atomique puis l’alimentation en combustible du parc nucléaire français se paie par une contamination diffuse mais tenace des territoires de ces 250 gisements. Ces mines d’abord exploitées par le CEA devenu COGEMA, puis AREVA et à présent ORANO produisaient de l’uranium concentré, mais aussi des résidus radioactifs qu’il a fallu stocker quelque part. Et même si des solutions ont été trouvées pour confiner des millions de tonnes de résidus, de nombreux sites, n’ont pas encore été décontaminés ou réhabilités de façon à assurer une sécurité sanitaire (quoique temporaire) aux riverains. 

 

    La C.R.I.I.R.A.D. (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) alerte depuis des années le gouvernement sur cette question. Son président, Bruno Chareyron, également ingénieur en physique nucléaire ainsi que plusieurs associations locales, qui luttent parfois depuis plus de vingt ans, m’ont guidée sur les zones les plus contaminées. De la Haute-Vienne au Morbihan en passant par la Loire, équipée d’un compteur Geiger, j’ai procédé à des mesures systématiques de ces territoires et au gré des secousses de l’appareil j’ai photographié les paysages qui m’entouraient. « Mines de rien » est donc constitué d’un ensemble d’images de nature dans lesquelles j’ai choisis de ne pas montrer la présence humaine pour mieux signifier sa nuisance invisible. Les légendes de chaque image indiquent, le lieu ainsi que le nombre de chocs par seconde mesurés par mon détecteur de rayonnement nucléaire. J’ai volontairement rehaussé les tonalités orangées de chaque photographie, orange qui rappelle la couleur de l'uranium, de façon proportionnelle à la quantité de radioactivité enregistrée au moment de la prise de vues. 

 

    Depuis toujours mon travail photographique questionne la représentation de la beauté, célèbre la puissance et la vitalité de la nature. Dans la continuité de cette démarche j’ai tenté de photographier le cadeau empoisonné, l’héritage toxique et de faire une mise en perspective sur l’échelle du temps. Montrer comment 50 années d’extraction ont suffi à polluer les sols pour les 50 prochains millénaires. Mines de rien n’a pas pour vocation à jeter l’opprobre sur le nucléaire, qui pourrait d’ailleurs nous aider (en partie) à réduire notre dépendance énergétique, notamment en limitant les importations de gaz russe. Il est surtout question ici de jouer sur le « vrai du faux ». Pointer que parfois l’image photographique cache plutôt qu’elle ne montre… ou en tout cas joue sur les deux tableaux. Et enfin de rappeler que le nucléaire est, certes, une énergie qui produit beaucoup moins de gaz à effet de serre que les énergies fossiles, mais qui produit une quantité impressionnante de déchets polluants et non recyclables. Ce travail a pour but de révéler cette dualité, sinon le duel entre l’infatigable renouvellement d’une nature bien orchestrée depuis des siècles et le non moins inexorable travail de sape qui se joue, invisible et pernicieux, en souterrain. 

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Documentation : C.R.I.I.R.A.D. (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité) I.R.S.N. (Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire) Le Monde « La malédiction des anciennes mines d’uranium » 2017 France Culture « Les pollutions invisibles : le Limousin face à son passé », 2016 France 3 Nouvelle aquitaine « Le sous-sol limousin et la radioactivité » 2021 France 5 Vert de rage « L’uranium de la colère » 2022 If. Saint-Etienne « Mine d’uranium des Bois Noirs : des résidus radioactifs » 2021 Sortir du nucléaire « Les anciennes mines d’uranium en France : un secret d’Etat » 2015 « Nucléaire, une énergie qui dérange » film de Charles Thimon, 2022 

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