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Mythologies (2019-2022)

Chapitre I L'origine, chapitre II L'âge d'or

 

 

Texte de Laura Serani

 

 

        « Donc, au commencement, fut Chaos, et puis la Terre au vaste sein et le Tartare sombre dans les profondeurs de la vaste terre, et puis Amour, le plus beau des immortels, qui baigne de sa langueur et les dieux et les hommes, dompte les cœurs et triomphe des plus sages vouloirs. »

Hésiode, Théogonie (VIIe siècle av. J.-C.)

 

        Le travail présenté ici sous le titre de Mythologies puise ses racines dans deux passions qui habitent et accompagnent Letizia Le Fur depuis son enfance, la mythologie grecque et la recherche de la beauté. Guidée par les poètes classiques, notamment par Hésiode et Ovide, Letizia interprète ici librement les mythes, re-visités par sa sensibilité et par une approche esthétique contemporaine. 

Sa quête d’harmonie et de beauté telle la pratique d’un culte, en opposition à la laideur et à l’inapproprié est libérée et éloignée des codes en vigueur, inattendue, absolue, parfois secrète. Letizia cherche à transformer et à transcender ce qui l’entoure, à embellir le réel, colorer les gris, s’inventer un monde repaire/repère, où se poser, se réparer, trouver un équilibre au milieu de l'âpreté. A la recherche d’une sorte de refuge esthétique et d’un état de plénitude. Presque une obsession, comme à l’écoute de Stendhal écrivant, dans l’essai De l’amour, « La beauté n'est que la promesse du bonheur ». 

 

      Mythologies s’articule en deux chapitres. Le premier, l’Origine aborde l’ère de la création du monde. Le deuxième, L’Age d’or évoque l’ère de l’harmonie entre les Dieux, la nature et les hommes. Un troisième volet, en préparation, toujours inspiré par Ovide sera consacré aux Métamorphoses. Les classiques grecs avec lesquels Letizia a grandi, deviennent un support solide à ses propos narratifs, mais aussi le moyen de traiter de thématiques liées à la société d’aujourd’hui, par métaphores et loin des dispositifs d’auto-fiction, qu’elle redoute et refuse. L’Origine raconte à travers un univers aux paysages souvent mystérieux comment à partir du désordre et de la confusion, les Dieux ont réussi à invoquer les éléments pour créer l'équilibre. Ici la matière semble vibrer sous l’effet de forces telluriques, pour fondre dans des alchimies chromatiques. La nature est souvent hostile, âpre; des parois de pierre insurmontables et infranchissables, des étendues minérales inhospitalières impressionnent par leur puissance écrasante face à l’impossibilité des hommes. 

Dans la deuxième partie, L’Age d’or, le monde végétal prend le dessus et la nature figée se réveille dans une explosion de couleurs, les plaines ondulent, les plantes se dressent et s’entrelacent pour tisser des tapisseries aux fils étincelants. Apparait parfois l’impression de glisser du mythe à la fable, autre élément fondateur de la littérature et de la psychologie. 

Dans cet univers envoutant, magique et sensuel, la figure humaine apparait. Sous la semblance d’un homme, qui arpente l’espace à la découverte du monde. Eternel Ulysse, poussé par la volonté de connaissance, de dépasser toutes barrières pour regarder des nouveaux horizons, de dompter, ou bien de fusionner avec les éléments, parfois en conquérant, parfois en âme vaguante. L’Age d’or évoque un thème universel, plus que jamais d’actualité au moment de la pandémie, celui de la nécessité d’imaginer un nouveau monde et une nouvelle organisation sociale; contexte propice aux utopies.

 

      Eden perdu ou retrouvé, fait de paysages oniriques où la recherche de l’équilibre et de la perfection demeure constante. Sous bois percés par des lumières « bibliques », buissons irradiés, feuillages cuivrés et arbres qui semblent peints à la feuille d’or. L’amour de Letizia pour la nature, se traduit dans sa capacité à magnifier son environnement, autant les espaces ouverts sur l’horizon que les espaces tanière, les pierres et les plantes. Letizia avec ce don de redessiner le réel transforme même la végétation la plus anodine et familière de nos campagne en somptueuse fresques tropicales et emporte les visiteurs dans des paysages à l’échelle incertaine. Avec ce même amour, elle introduit, guide et parfois semble traquer son personnage à travers des décors de plaines, plages, rochers, champs où le corps élu se fond, émerge, s’impose, trouve sa place dans le cadre, toujours en équilibre et dans un dialogue permanent avec l’environnement qui parfois le défie, parfois l’accueille. Jamais le regard de Letizia ne s’attarde sentimentale ou ne tombe dans le romantisme. 

 

     Ces chapitres semblent correspondre aussi aux phases de l’évolution de son travail : après une période foisonnante et un peu chaotique, identifiable avec L’Origine, le surgir - il y a environ deux ans - du besoin d’un mode plus harmonieux, avec la mise en place d’un nouveau projet personnel qui renvoie à l’esprit de L’Age d’or. Au coeur du projet, l’intention d’introduire un personnage et de mettre en scène des images perçues ou rêvées.

Enfin, la suite logique de son processus créatif qui semble annoncer le troisième chapitre, avec l’impression de se métamorphoser elle même. 

De ses études aux Beaux-Arts et de ses débuts dans la peinture, avant de s’orienter vers la photographie, émerge la connaissance de l’histoire de l’art, la maitrise de la lumière, l’attention à la couleur. Cette couleur si particulière, ici en tant que photographe, elle travaille comme un peintre, par petites touches. Et, comme un peintre mélange les couleurs sur sa palette, Letizia, dans la phase de post-production, isole et transforme, corrige, ajoute, exalte les tonalités de chaque couleur, les amplifie pour transcender le réel et créer cette sensation de monde irréel, perché entre le fantastique et le rêve… La photographie n’est qu'une esquisse qui seulement après ses interventions devient l’image rêvée et imaginée. Dans cette démarche l'émergence de la photographie numérique a été pour Letizia un cadeau, avec la révélation d’une nouvelle dimension temporelle et spatiale. 

Les influences et les références à la peinture et à l’histoire de l’art sont constantes dans l’oeuvre de Letizia, comme quand elle soulève la question de la représentation du nu masculin, très présent jusqu’à la renaissance et ensuite quasiment absent. Ainsi que les questions subsidiaires de comment représenter ce corps en gardant le juste détachement, sans tomber dans la complaisance, ni l’exaltation des clichés, en restituant cette complexité de force et d’audace, de fragilité et de douceur. Face au thème de la figure humaine, comme ailleurs, en s’appuyant sur la mythologie Letizia met en scène ses « figures intimes », avec discrétion et élégance. 

 

      Letizia Le Fur se voile et se dévoile derrière ses images, les mots qu'elle concèdent timidement et posent sur son travail révèlent autant sa sensibilité qu'une réflexion approfondie sur la démarche entreprise et permettent de contextualiser la lecture de ses images dans son parcours autant que dans l’histoire de l’art : 

« L’origine dans la mythologie grecque représente le chaos, c’est l’ère qui précède la mise en place harmonieuse de la vie sur terre. La nature et les éléments y sont omniprésents et hostiles. Il correspond également à la genèse de ce travail, de ce cycle. C’est également une mise en place du contexte, du cadre, avant de mettre en scène la figure humaine. Avec L’Age d’or on retrouve le double motif du paysage et de la figure humaine. À la Renaissance, le mythe de l’Age d’or connaît un fort succès et est toujours représenté sous la forme de célébration de l’amour, de la fertilité et de l’abondance. Dans mon travail, il s’agit d’une vision du monde contemporain idéalisée, à travers éventuellement le regard discret d’une femme amoureuse. L’âge d’or aujourd’hui et tel que j’ai choisi de le montrer se situerait moins dans une représentation de l’abondance et de la fertilité (dont nous ne manquons pas) mais plus dans l’idée d’un désir de liberté et d’une volonté de s’extraire de la société. Plutôt que d’une communion entre les êtres,  il s’agit ici d’un rêve de communion avec la nature, comme réponse à nos inquiétudes et notre culpabilité écologiques. La profusion de personnages, emblématique des tableaux du 16e siècle, est ici remplacée par un homme seul à l’image d’une société contemporaine où l’individualisme prime. « L’âge d’or a toujours permis d’exprimer les questionnements, les inquiétudes et les espoirs d’une société»*.

D’un point de vue professionnel et personnel, l’âge d’or pourrait correspondre à l’épanouissement de ma pratique artistique à travers ce travail. Prochaine étape, Les métamorphoses, un projet sur la représentation de la transformation quand elle est motivée par la fuite, la survie ou la conquête. Il s’agit également de ma propre transformation qui opère au fil de ce travail en explorant une représentation peut-être plus abstraite de la beauté. »

 

 

 

*Elinor Myara Kelif « L’imaginaire de l’âge d’or à la Renaissance » 2017

English version

by Laura Serani, 2020

 

    « In the beginning there was only Chaos, but then the Earth and her broad bosom came into being, as well as Tartaros, dim in the underground depths, and then Eros, loveliest of all the Immortals, who makes gods' and men's bodies go limp, mastering their minds and subduing their wills. » Hesiod, Theogony (7th century BC)

 

    Artist Letizia Le Fur's Mythologies takes root in two of her childhood passions: Classical mythology and the search for beauty. 

 

    Mentored by Classical poets, Hesiod and Ovid in particular, Letizia revisits mythology with her own sensitivity and aesthetic approach, to freely interpret them in this work. She transforms and transcends what surrounds her, embellishing reality, colouring what is grey, in order to invent a world of her own, where she can settle, hide away, atone and find harmony in the midst of harshness. Her search for an aesthetic refuge and for plenitude grazes obsession, and conveys what Stendhal wrote in his essay De l'amour: "Beauty is the promise of happiness." Her quasi-religious quest for harmony and beauty, in opposition with everything ugly and inappropriate, is unexpected, absolute, even secretive at times, and definitely freed from codes and standards.

 

    The present work uncovers the first and second chapters of Mythologies. Origin firstly broaches the World's creation, whilst Golden Age addresses the harmony between the gods, nature and men. Still in preparation and inspired by Ovid, the third chapter will be dedicated to Metamorphoses. Throughout her life, Classical texts have become a solid ground for Letizia's narrative intents, as well as a way for her to deal with themes related to modern society, using metaphors, whilst staying away from autofictional tales which she fears and would rather avoid. 

 

    In Origin, through a world composed of often mysterious landscapes, Letizia Le Fur points to the way the gods called upon nature's elements so as to create order and balance amidst chaos and confusion. Here, matter seems to vibrate under the effect of telluric forces, and to melt into coloured alchemy. Nature is often hostile, harsh; stone walls seem insurmountable, and with their crushing power, unwelcoming mineral plains intimidate man's fragility. 

 

    In part two, Golden Age, flora takes over, and the stillness of nature awakens with exploding colours, rippling plains, and plants that grow and intertwine to weave sparkling tapestries. There is a feeling at times, that mythology turns into fable, another cornerstone genre of literature and psychology. In this magical and sensual bewitching world, human figure comes to life with the image of a man roaming through space, in search of the world. Eternal Ulysses, he is driven by his thirst for knowledge, his will to cross all obstacles, to look for new horizons as he tames, and even merges with the elements, both as a conqueror and as a wandering soul. Golden Age addresses a universal utopian obsession: the necessity to imagine a new world and a new social order. 

 

    It is an Eden, lost or found, made of dreamlike landscapes where the search for harmony and perfection never stops, between undergrowth pierced by "biblical" rays of light, radiating bushes, copper-coloured foliage and golden leaf painted trees. Letizia's love for nature is mirrored by her ability to glorify her environment, not just spaces with wide open horizons but also hideaways, stones and plants. This gift she has to reimagine the world, allows her to transform even the simplest and most familiar countryside plants into sumptuous tropical frescos and to transport visitors to landscapes of uncertain scales. With love and care, she inserts, guides and sometimes even hunts her character through sceneries made of plains, beaches, rocks, and fields. There, the chosen body blends and emerges, becomes essential and asserts his place in the frame, always in harmony and in constant dialogue with both the defying and welcoming aspects of his surrounding environment. But Letizia's gaze never gets sentimental nor falls into romanticism. 

 

    These two chapters also happen to mirror phases in the evolution of Letizia's work as a photographer: after a chaotic yet flourishing phase, like in Origin, came about the need – two years ago – for a more harmonious mode, through the development of a personal project, like in Golden Age. There is, at the heart of her project, the will to introduce a character and to create images, as she has seen or dreamed them. And finally, the logical continuation of this creative process is what the third chapter foreshadows: the feeling she is metamorphosing herself. 

 

    We recognise Letizia's background in painting and Beaux-Arts studies, before she turned to photography, through her knowledge in History of Art, her understanding of light, and her attention to colour. Indeed, her photography tackles colours, as would a painter, in small brushstrokes. And in the same way a painter blends their colours on a palette, Letizia uses post-production to isolate, transform, correct, add and enhance colour tones so she can transcend reality and ultimately create the impression of a surreal world, at a crossroads between fantasy and dreams... Thus, the photograph that is first taken merely serves as a draft of what will become through her craft the final image she envisioned. In that regard, technology and digital tools have been a blessing in allowing Letizia to add new dimensions to her art, both in time and through space. 

 

    Painting and History of Art are always influencing and referenced in Letizia Le Fur's work. This is the case when she addresses the representation of male nudity – which was prominent under the Renaissance, but practically absent ever since – as well as the subsequent questions of how to represent a body with the right detachment, without falling into indulgence, or feeding stereotypes, whilst rendering the complexity of a body that can be strong and bold, but also gentle and fragile. Confronted with the theme of the human figure, like elsewhere, and relying on mythology, Letizia displays these "intimate figures" with discretion and elegance.   

 

    Letizia Le Fur unveils herself behind these veiled pictures, and the words she humbly uses to talk about her own work not only reveal her sensitivity, and a thorough consideration for her approach, but also map out the way one should read her art and its place in her career, as well as in Art History:

    "The Origin in Classical mythology represents chaos, as the era which precedes the harmonious birth of life on Earth. Nature and its elements are omnipresent and hostile. Such chaos also corresponds to the origin of this work and this cycle. It brings context, and sets the framework, before introducing the human figure.  

    In Golden Age, we encounter the double leitmotiv of landscape and human figure. Under the Renaissance, the myth of the Golden Age blossomed and was always represented through the celebration of love, fertility and abundance. 

    In my own work, I see it as an idealised vision of the modern world through the somewhat reserved gaze of a woman in love. The Golden Age that I want to portray today moves away from this representation of abundance and fertility (which are not lacking) and towards the idea of a desired freedom, and a need to escape society. Rather than a communion between beings, here it is about a dreamed communion with nature, in echo to our environmental concerns and guilt. The profusion of characters, emblematic of 16th century paintings, has been replaced here by a single man, a symbol of the primary individualism of modern day society. 'The Golden Age has always enabled the questioning of society's worries and hopes' (Elinor Myara Kelif, L’imaginaire de l’âge d’or à la Renaissance - 2017).

    From a both professional and personal point of view, the Golden Age could very well be in tune with my own artistic fulfilment throughout this work. 

 

    The next volume, Metamorphoses, will attempt to portray transformation when it is motivated by evasion, survival or conquest. 

    It will also be about my own transformation, which occurs as my work explores a perhaps more abstract representation of beauty."

 *Elinor Myara Kelif « L’imaginaire de l’âge d’or à la Renaissance » 2017

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